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La pomme de terre qui a causé la Grande Famine

Tubercules de pomme de terre ‘Lumper’. Photo: myirelandspast.wordpress.com

En cette journée de la Fête de la Saint-Patrick, où l’on dit que tout le monde est Irlandais, voici un article sur une plante presque oubliée: la pomme de terre ‘Lumper’ ou ‘Irish Lumper’, celle derrière la Grande Famine en Irlande du milieu des années 1840.

Un peu d’histoire

À partir de 1810, la pomme de terre, jusqu’alors presque inconnue en Irlande, a gagné cette île, au point de rapidement devenir la denrée de base. Un métayer (fermier locataire, le système en cours en Irlande à l’époque) pouvait nourrir une famille de 5 à 6 personnes avec un acre (0,4 ha) de pommes de terre, la superficie qui lui était allouée pour sa production personnelle. Et la ‘Lumper’, originaire d’Écosse, était la «patate» préférée des paysans, car elle était prolifique, même par les étés froids et humides, et était capable de pousser dans les terres les plus pauvres. Alors, les Irlandais vinrent à la cultiver presque en exclusivité.

Mais, au début des années 1840, une nouvelle souche du mildiou de la pomme de terre (Phytophora infestans) a sévi en Amérique du Nord, réduisant plusieurs récoltes des trois quarts. En 1844, cette maladie a été recensée en Europe pour la première fois, sans doute transportée par accident sur des tubercules importés. Une première famine a alors frappé l’Europe continentale, tuant environ 100?000 personnes. Mais les fermiers continentaux cultivaient une plus large gamme de pommes de terre, certaines plus résistantes à la maladie, et, de plus, moins d’agriculteurs se limitaient uniquement à la culture de la pomme de terre. Grâce à cette diversité des cultures, le pire a pu être évité.

La Grande Famine a duré quatre ans en Irlande et a tué un million de personnes. Ill.: britannia.com

Mais ce ne fut pas le cas en Irlande. En 1845, presque la moitié des pommes de terre furent ruinées. Et pire encore en 1846, avec une perte estimée à 70%. La maladie ne commença à s’estomper qu’en 1849, quand les fermiers restants abandonnèrent la culture de la pomme de terre, cultivant notamment des pois à la place. 

Environ un million d’Irlandais sont morts de faim durant la Grande Famine et un autre million a émigré vers le Nouveau Monde et l’Australie pour la fuir. L’Irlande a perdu ainsi un quart de sa population en seulement 5 ans et d’ailleurs, la baisse de population consécutive à la famine s’est poursuivie pendant plus d’un siècle. L’Irlande n’a pas encore récupéré de cette perte.

Leçons apprises

Tubercule atteint de milidiou. Photo: Dr. Steve Johnson, University of Maine Cooperative Extension

Les humains ont depuis appris que la plantation de vastes surfaces d’une seule culture (une monoculture) est une chose dangereuse et que planter une plus large gamme de variétés peut aider à prévenir de futures famines. Du moins, ils l’ont appris en théorie, car si vous regardez les champs à perte de vue de blé, de soja et de maïs de souche identique qui recouvrent les fermes modernes, il faut vraiment se demander si nous avons appris quoi que ce soit!

La pomme de terre derrière la famine

La ‘Lumper’ était une pomme de terre de taille moyenne, à la peau brun pâle, à chair blanc jaunâtre et d’apparence étrangement bosselée. Sa saveur était assez bonne dans les bonnes années, mais on dit qu’elle avait un goût de savon et une texture cireuse lors des années froides et pluvieuses. Mais, quand on a faim, même une pomme de terre au goût savonneux peut passer. Mieux vaut ça que rien!

À la suite de l’abandon de sa culture vers 1849, la ‘Lumper’ fut considérée comme disparue en Irlande… du moins, jusqu’à ce que Michael McKillop de Glens of Antrim Potatoes en Irlande du Nord la déniche en 2009 dans un jardin dédié aux pommes de terre patrimoniales. Il a alors repris sa culture et vend maintenant les tubercules comme promotion de la Saint Patrick dans les magasins Marks and Spencer en Irlande. Une façon originale pour les Irlandais de renouer avec leur passé agricole.

On trouve aussi ce vieux cultivar au Canada à la Banque de gènes de pommes de terre à Fredericton, Nouveau-Brunswick, ainsi qu’à la station de recherche de l’Université de Guelph à Elora, Ontario.

Le mildiou, toujours une menace

Pomme de terre ‘Lumper’. Photo: frostysramblings.wordpress.com

Il ne faut pas croire que le mildiou de la pomme de terre ait disparu! Différentes souches circulent toujours et font occasionnellement des ravages dans les champs de pommes de terre. La maladie hiverne sur des tubercules infectés, en particulier ceux qui ont été laissés dans le sol après la récolte de l’année précédente et germent au printemps. De là, le vent peut transporter les spores dans les champs avoisinants. 

Par contre, on sait aujourd’hui qu’il possible de décontaminer un champ infesté assez rapidement en faisant tout simplement un très bon ménage, ne laissant aucune trace de la culture contaminée précédente. Ainsi, il est possible de cultiver même des variétés très sensibles au mildiou comme la ‘Lumper’ en restant très fastidieux dans l’entretien. Également, on peut maintenant contrôler le mildiou avec des traitements fongicides.

De retour dans les jardins d’écoliers en Irlande

Récolte dans un jardin d’écoliers en Irlande. Photo: www.killeenns.com

À l’été 2019, des écoles de toute l’Irlande se sont vu offrir gratuitement des semences de pommes de terre ‘Lumper’ grâce à une collaboration entre le Comité pour la commémoration des victimes de la famine irlandaise et Glens of Antrim Potatoes. L’idée était de planter des tubercules de semences dans des jardins d’école. De cette façon, le processus de plantation et d’entretien de la récolte aidera les élèves à se souvenir des victimes de la famine, ainsi que de ceux qui souffrent de la faim aujourd’hui. Et d’apprendre aussi comment faire un peu de jardinage!

Selon les dires de tous, la récolte de la ‘Lumper’ par les écoliers a été bonne en 2019, bien qu’elle ne soit pas aussi productive que les pommes de terre plus modernes. Le mildiou ne s’est pas pointé. La plupart des élèves ont trouvé son goût semblable à celui des pommes de terre qu’ils mangent chez eux.

Où trouver des tubercules de la ‘Lumper’

Vous voulez essayer de cultiver la pomme de terre ‘Lumper’? Je pense que vous aurez un peu de difficulté. Je n’ai pu trouver aucune source commerciale de semences de ce cultivar. Si l’un de mes lecteurs en connaît une, merci de me le faire savoir.

Personnellement, je n’ai pas l’intention d’essayer la ‘Lumper’ de toute façon. Je préfère cultiver des pommes de terre plus récentes, reconnues pour leur bonne productivité et leur résistance aux maladies, plutôt qu’une pomme de terre d’intérêt historique, mais sensible aux maladies et au goût parfois douteux!

Étiquettes + Pomme de terre de la famine


commentaire sur "La pomme de terre qui a causé la Grande Famine"

  1. Line Bertrand dit :

    Merci pour cet article très intéressant.
    Quelle sont selon vous les variétés les plus productives et résistantes au mildiou pour notre région et qu’on peut servir à toutes les sauces( purée, entière, frites etc…)
    Bonne Fête et bonne journée de St-Pat’s

  2. Lise Ranger dit :

    Un article très intéressant sur la pomme de terre, et plus particulièrement, la culture de la Lumper en Irlande au cours du 19ème siècle. Plusieurs d’entre nous comptons au moins un ou plusieurs ancêtres irlandais dans notre ascendance. Merci, Larry Hodgson, et bonne Saint-Patrick!

  3. Patricia Maldonado dit :

    C’est toujours un grand plaisir de lire vos articles. Gracias

  4. […] via La pomme de terre qui a causé la Grande Famine — Jardinier paresseux […]

  5. […] — plus sensibles à toute attaque d’insectes ou de microbes. (Pour en savoir plus, lisez La pomme de terre qui a causé la Grande Famine.) En conséquence, un million de personnes sont mortes et des millions d’autres ont été […]

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