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Le fantôme de Miss Willmott

Le fantôme de Miss Willmott. Photo: www.ballyrobertgardens.com

C’est une grande plante éthérée, épineuse, portant une collerette élisabéthaine insolite et qui, au clair de lune, semble être d’un bleu givré spectral. Et elle surgit de façon inattendue dans les endroits les plus inattendus. Une véritable plante fantôme… avec une histoire fascinante pour appuyer sa spectralité: celle du fantôme de Miss Willmott.

Miss Ellen Willmott. Photo: www.bethchatto.co.uk

Bien sûr, «fantôme de Miss Willmott» n’est pas son nom original. On l’appelait plutôt panicaut géant (Eryngium giganteum). La plante a cependant pris le surnom de fantôme de Miss Willmott au début du siècle dernier, du nom d’Ellen Ann Willmott (1858–1934), une héritière anglaise devenue l’une des plus grandes horticultrices de sa génération.

Elle affirma avoir cultivé plus de 100?000 variétés différentes sur ses différents domaines, notamment Warley Place en Angleterre, le château de Tresserve, près d’Aix-les-Bains, et la villa Piacenza Boccanegra, à Vintimille en Italie. Elle finança aussi des expéditions à la recherche de nouvelles plantes en Chine et ainsi plusieurs espèces végétales portent son nom (Ceratostigma willmottianumIris willmottianaRosa willmottiae, etc.). Elle était également une hybrideuse réputée (notamment de narcisses) et un membre influent de la Royal Horticultural Society, d’ailleurs l’une des premières femmes à être acceptée dans cette auguste société.

Sa passion pour l’horticulture n’avait pas de limite; à un moment donné, elle employait jusqu’à 104 jardiniers seulement à Warley Place… et elle n’était pas une patronne commode. Si même une seule mauvaise herbe était trouvée dans le lopin d’un jardinier, il était licencié sur le coup. Elle écrivit aussi des livres sur le jardinage et ses jardins. La célèbre conceptrice paysagiste et auteure Gertrude Jekyll dit d’elle qu’elle était «la plus grande des horticultrices vivantes». Ellen Willmott écrivit ceci à son propre sujet: «Mes plantes et mes jardins passent avant tout dans ma vie et tout mon temps est consacré à travailler dans un jardin ou un autre. Quand il fait trop sombre pour voir les plantes elles-mêmes, je lis ou écris à leur sujet.» Une passion débordante!

Mais si Ellen Willmott savait gérer les jardins, elle ne savait pas gérer un budget. Elle vécut toute sa vie au-delà de ses moyens. Ainsi, elle dilapida progressivement sa fortune et fut forcée de vendre ses propriétés pour finalement décéder sans le sou. Elle devint de plus en plus excentrique, voire paranoïaque, en vieillissant, piégeant son domaine à Warley Place pour dissuader les voleurs et portant un pistolet dans son sac à main à tout moment. Elle avait également une étrange habitude lorsqu’elle visitait un jardin qui a conduit au nom de fantôme de Miss Willmott.

Graines «libérées» dans les jardins des autres

Le fantôme de Miss Willmott s’insère tout seul dans les plates-bandes, à travers les autres fleurs. Photo: www.gardenia.net

En tant que membre influent de la Royal Horticulture Society, Ellen Willmott pouvait facilement se faire inviter dans les jardins privés les plus splendides de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie. Elle avait cependant ses propres convictions quant à la conception des jardins, préférant les styles naturalistes et désapprouvant grandement les jardins rigidement formels. On dit qu’elle portait toujours dans sa poche des semences de panicaut géant (E. giganteum). Si elle n’aimait pas l’aspect d’un jardin, elle lançait des graines de cette plante dans les parterres. Puisque le panicaut géant est une plante robuste et dominante qui peut pousser sans attention, il s’y établissait en semant la zizanie dans les plans du concepteur. Il est devenu sa plante emblématique et quand on le voyait dans un jardin, tout le monde savait que Miss Willmot y était passée.

Et comme le panicaut s’est maintenu longtemps dans les jardins en se ressemant, même bien après le décès de son initiatrice, on a commencé à l’appeler «Miss Willmott’s ghost»: le fantôme de Miss Willmott.

Portrait d’un fantôme

En laissant plusieurs spécimens pousser ensemble, on peut augmenter la densité de la floraison. Photo: plantlust.com

Le panicaut géant est une grande bisannuelle, facile à cultiver dans les climats tempérés (zones de rusticité 4 à 8 ou 9) et capable de survivre dans des sols pauvres, bien drainés et secs, voire salins, où il se maintient en se ressemant. Sa hauteur varie normalement de 90 à 120 cm, mais parfois il atteint presque 180 cm.

Les couleurs varient selon l’intensité du soleil… ou de la lune. Photo: www.whiteflowerfarm.com

C’est une plante dotée d’une «personnalité double», formant, la première année, une rosette basse et assez anodine de feuilles vertes cordiformes et persistantes. Elle ne laisse en rien présager son port sculptural de la deuxième année alors que, subitement, une tige rigide, épaisse et bleu-vert se met à monter vers le ciel. Elle est marquée de feuilles sessiles triangulaires plus petites, bleu gris avec des nervures ivoires et ourlées de piquants d’apparence méchante, ce que lui donne l’aspect d’un chardon bleu argenté. Au sommet, plusieurs tiges se forment, chacune portant une grappe en forme de cône d’environ 10 cm (4 pouces) de hauteur et composée de petites fleurs bleu blanc que les abeilles et les papillons adorent, sous-tendue par une «collerette élisabéthaine» composée de bractées gris argenté épineuses rappelant des feuilles de houx de jusqu’à 6,5 cm de long. À ce stade, la plante entière semble vouloir dire, avec ses épines qui fusent de partout: «Ne plaisante pas avec moi!»

Superbe dans le jardin en plein jour, le panicaut géant est encore plus impressionnant un soir de clair de lune, lorsque les fleurs dégagent ce qui ne peut se décrire autrement que comme une lueur fantomatique bleu clair: le fantôme de Miss Wilmott fait fleur! C’est la plante vedette parfaite pour votre jardin de minuit!

Et bien sûr, après sa floraison, le fantôme meurt, car c’est une bisannuelle.

Il existe d’autres panicauts (Eryngium spp.) qui se cultivent en plate-bande, tous des vivaces herbacées assez persistantes, avec des fleurs similaires, mais de taille plus petite. Ainsi, le fantôme de Miss Willmott est la plus grande des espèces, le géant du genre, comme son nom botanique, E. giganteum, l’indique et aussi la seule bisannuelle.

Comment cultiver votre propre fantôme

Allée de fantômes de Miss Willmott dans le jardin blanc de Sissinghurst, en Angleterre. Photo: Kendra Wilson, gardenista.com

Vous pourriez, je suppose, acheter une plante du fantôme de Miss Willmott en pépinière, mais il est beaucoup plus logique de le faire pousser à partir de semences, disponibles auprès de certaines sociétés semencières. Il suffit de les semer en pleine terre au début du printemps ou, mieux encore, à la fin de l’automne (les graines germent mieux après un certain traitement au froid) dans un endroit ensoleillé au sol très bien drainé, riche ou pauvre, puis de le laisser pousser tout seul. 

Ne supprimez pas toutes les fleurs fanées après la floraison de la deuxième année, ou vous perdrez la plante! Laissez au moins une inflorescence mûrir. Ainsi, les graines tomberont au sol et la plante se ressèmera. Après quelques générations, il vous paraîtra presque une plante vivace tellement il sera fidèle au poste… mais une vivace qui apparaît ici et là, jamais exactement là où vous vous y attendiez.

Chez moi, le fantôme de Miss Willmott est apparu tout seul, sans que j’aie eu à le planter. Un jour, j’ai remarqué une plante curieuse dans la partie la plus ensoleillée de mon parterre. Bien sûr, j’ai laissé la petite plante pousser (quel jardinier peut résister à une plante-mystère?), mais j’ai été stupéfait quand j’ai réalisé, le deuxième été, que c’était une plante que je cherchais depuis longtemps: le fantôme de Miss Willmott! 

Maintenant, des têtes plus rationnelles que la mienne diront qu’il a probablement voyagé jusque chez moi bien caché dans le pot d’une autre plante ou qu’un chardonneret, qui aime beaucoup les graines de panicaut, a rapporté la graine de la plante d’un autre jardin, mais je préfère croire que c’est le fantôme de Miss Willmott lui-même qui est venu d’Angleterre visiter mon jardin par une nuit de pleine lune et qui y a déposé une graine de sa plante fétiche pour me rappeler d’éviter les artifices et de laisser mon jardin le plus naturel possible. Parfois, quand j’y pense, cela me donne même des frissons!

Merci, Miss Willmott, pour le beau cadeau!

Sources de semences

Canada
Amazon.ca

Europe
Silène
Ducrettet
Le Jardin du PicVert

Étiquettes + Fantôme de Miss Willmot, Erygnium giganteum, Panicaut géant


commentaire sur "Le fantôme de Miss Willmott"

  1. J’adore cette histoire! Mais la plante est-elle envahissante? Vaut-il mieux la semer loin de la rocaille toute bien garnie?

  2. Très belle histoire, malheureusement le fantôme de miss Willmott n’est pas ” encore ” passé chez moi ! Ici dans la vallée nous avons le chardon bleu, il fait certainement parti de la même famille ?

    • Le nom chardon bleu n’indique pas clairement à quelle plante vous faites référence. Habituellement, on l’utilise pour les Echinops (sans collerette), qui sont des Astéracées, mais on utilise parfois ce nom pour les panicauts (Eryngium), des Apiacées, avec une collerette. Ils ne sont pas parents.

  3. […] de bractées gris argenté très piquantes, comme une collerette élisabéthaine. On l’appelle «Miss Willmott’s Ghost» en anglais pour son allure fantomatique sous un clair de lune. Fleurit de juin à […]