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Les nymphéas géants en vedette!

Victoria cruziana, un des nymphéas géants. Photo: Mercy, Wikimedia Commons

J’ai récemment fait un voyage à Montréal pour assister au lancement du jardin aquatique au Jardin botanique de Montréal. Ce jardin, construit à l’origine en 1938 et fraîchement restauré, comprend désormais un nouvel étang central abritant les trois espèces de nymphéas géants, également appelés victorias: Victoria amazonica, V. cruziana et V. ‘Longwood Hybrid’. Et comment ne pas être impressionné par la taille énorme de leurs feuilles — jusqu’à 3 mètres de diamètre! — et de leurs fleurs gigantesques!

Ces nymphéas sont aquatiques, bien sûr. On les trouve dans la nature dans les eaux calmes du bassin amazonien dans le cas de V. amazonica et dans le bassin du Parana-Paraguay, aussi en Amérique du Sud, dans le cas de V. cruziana.

Quant à V. ‘Longwood Hybrid’, il résulte du croisement entre les deux et a été développé, comme son nom l’indique, à Longwood Gardens en Pennsylvanie… où je l’ai vu en fleurs deux semaines auparavant (oui, je me déplace souvent pour visiter des jardins!)

Le genre a été nommé en 1837 en l’honneur de la jeune reine Victoria, récemment couronnée. Depuis, il est devenu l’un des piliers des jardins botaniques du monde entier. Des nymphéas géants sont souvent cultivés en serre, car ils ont besoin de conditions tropicales. Cependant, ils peuvent aussi être cultivés à l’extérieur dans des étangs chauffés, ce qui est le cas au Jardin botanique de Montréal comme aux Longwood Gardens.

Il est difficile de croire que ces plantes géantes sont des plantes annuelles, mais c’est ainsi qu’elles sont généralement cultivées dans les jardins botaniques. À partir d’un semis fait en février en serre chaude, on réussit à produire une plante qui atteint 5 m de diamètre seulement cinq mois plus tard!

Feuille conçue pour flotter

Au revers de la feuille, on voit le système complexe de nervures qui la supporte. Photo: www.reddit.com

La feuille flotte sur l’eau grâce à la tension superficielle et aux épaisses nervures remplies d’air à son revers qui forment d’ailleurs une structure d’une géométrie surprenante.

On peut placer un enfant sur la feuille et elle ne s’enfoncera pas. Photo: www.montrealgazette.com

La feuille est mince comme du papier et se déchire facilement, mais peut néanmoins supporter le poids d’un enfant… s’il est soigneusement placé dessus. (Je suggère d’essayer cela avec un enfant autre que le vôtre.)

Le bord de la feuille est redressé comme le rebord d’une assiette à tarte, formant une barrière qui empêche l’eau environnante d’inonder le limbe de la feuille. Cependant, pour les cas où cela se produit (quand il pleut, par exemple, ou qu’un bateau passe), il y a de minuscules trous, à peine visibles, dans le limbe, conçus pour évacuer l’eau. De plus, la partie supérieure de la feuille est couverte d’une cuticule qui repousse l’eau. Ainsi le dessus de la feuille reste sec et l’envers trempe toujours dans l’eau.

Des épines féroces

Les bords et le dessus des feuilles sont munis d’épines acérées. Photo: bergenwatergardens.com

Vous ne pourrez pas vous empêcher de remarquer que le bord de la feuille exposé à la vue est recouvert d’épines. Si vous retournez la feuille, vous verrez que son revers est tout aussi piquant. Vous pourriez penser que ces épines sont conçues pour protéger la feuille des poissons ou d’autres animaux aquatiques, mais selon le jardinier responsable des victorias à Longwood Gardens, le véritable but des épines est de déchirer les plantes aquatiques concurrentes, les tranchant au fur et à mesure que la feuille se déplace dans l’eau. Avec sa grande feuille qui coupe toute lumière aux plantes submergées et ses épines qui déchirent celles qui essaient de se frayer un chemin vers le soleil, vous comprendrez que le victoria n’a pas à craindre la concurrence!

Belles fleurs aux mœurs bizarres

J’ai eu beaucoup de chance de voir cette année des fleurs de victoria dans deux jardins. Les énormes fleurs flottantes mesurent jusqu’à 40 cm de diamètre et chaque plante n’en produit généralement que deux ou trois par année, du moins en culture. Comme chaque fleur ne dure que deux jours, il faut alors faire votre visite au bon moment!

Le cycle de vie de la fleur est fascinant. 

Fleur de Victoria amazonica le premier soir. Elle est alors femelle. Photo: Bilby, Wikimedia Commons

Chaque fleur, portant de nombreux pétales (50 à 70 par fleur), s’ouvre le premier soir vers 18 h et est alors blanc crème. À ce stade, la fleur est femelle, avec un stigmate réceptif. Cette première nuit, la fleur dégage un parfum intense, rappelant un peu celui de l’ananas, et produit aussi une chaleur jusqu’à 11 °C supérieure à celle de l’air ambiant, et ce, afin de mieux diffuser l’odeur. Cela attire de petits coléoptères (Cyclocephala spp.) qui arrivent en masse pour se nourrir à l’intérieur de la fleur (ils consomment des staminoïdes produits spécialement pour eux)… et aussi pour s’y accoupler, car la fleur est aussi un lieu de rencontre.

La deuxième nuit, la fleur est rose et mâle. Photo: worldoffloweringplants.com

La fleur se ferme sur eux pendant la journée, les emprisonnant à l’intérieur… où ils continuent de se nourrir. Le lendemain soir, la fleur s’ouvre à nouveau, mais est alors rose à rougeâtre et inodore. Les staminoïdes nourricières s’assèchent aussi, ne nourrissant plus les coléoptères. Et la fleur est devenue mâle, avec des étamines fertiles qui couvrent les coléoptères de pollen quand ils quittent la fleur. Ils partent à voler… pour atterrir rapidement sur la fleur femelle intensément parfumée d’une autre plante. Alors, le processus se répète, jour après jour, garantissant une pollinisation croisée.

Lorsque les nymphéas géants sont cultivés en dehors de l’Amérique du Sud, par contre, le type de coléoptère nécessaire à leur pollinisation n’est pas disponible. Il faut alors polliniser les fleurs à la main.

La guerre des victorias

Illustration d’une fleur de Victoria amazonica à son épanouissement de Walter Hood Fitch, illustrateur botanique à Kew Gardens au 19e siècle.

La découverte du victoria de l’Amazonie (V. amazonica, à l’origine appelé Victoria regia) par Sir Richard Schomburgk en 1937 provoqua une frénésie parmi les jardins botaniques du monde entier. Chacun voulait être le premier à cultiver cette plante exotique, mais sans succès. Le victoria semblait impossible à cultiver en dehors de ses pays d’origine. (Les graines exigent une température d’au moins 32 °C pour germer, mais personne ne se doutait de ce facteur limitant à l’époque.)

Toutefois, en 1849, des graines envoyées à Kew Gardens (près de Londres, en Angleterre) et qui furent soigneusement conservées dans de l’argile humide pendant leur long voyage de presque cinq mois depuis l’Amazonie, germèrent, mais les plantes produites restèrent chétives (encore, une question de manque de chaleur). Cependant, Joseph Paxton, jardinier en chef du sixième duc de Devonshire à Chatsworth House, où se trouvait l’un des plus beaux jardins de l’époque, avait récemment construit une serre tropicale à laquelle il ajouta alors un énorme bassin spécialement chauffé. Il réussit à obtenir une jeune plante de Kew Garden et celle-ci prospéra dans l’ambiance chaude et humide de la serre, avec des feuilles qui atteignirent une taille presque record.

Le 2 novembre 1849, le duc annonça à la reine Victoria qu’une première fleur devait ouvrir le soir même et organisa rapidement une grande réception avec orchestre à l’appui. La jeune reine vint en début de soirée avec la cour royale, au son de «God Save the Queen», bien sûr, et put voir et sentir la première fleur de victoria à fleurir en culture.

Le duc a aussi invité les journaux de l’époque… mais pas le même soir que la reine, bien sûr! 

Illustration de l’Illustrated London News montrant le bassin de victorias de Paxton… avec sa fille debout sur une feuille.

Ainsi, le 14 novembre 1849, l’Illustrated London News mettait en première page une illustration de la fille de Paxton debout sur une feuille dans le vaste bassin rempli de feuilles géantes et de fleurs. L’illustration fit sensation et fut reproduite dans les journaux à travers le monde.

Les victorias demeurent toujours de grandes vedettes de nos jours et vous pouvez être sûr qu’ils apparaissent régulièrement dans les reportages des médias du monde entier.


Les nymphéas géants: non, ce ne sont pas des plantes que vous voudriez nécessairement cultiver dans votre propre jardin, mais ce sont certainement des plantes remarquables à voir absolument un jour. Habituellement, elles sont à leur plus belles à la fin de l’été et au début de l’automne. Donc… allez vite les voir dans le jardin botanique le plus près de chez vous, dont maintenant au Jardin botanique de Montréal.

Étiquettes + Nymphéa géant, Victoria cruziana, Victoria amazonica


commentaire sur "Les nymphéas géants en vedette!"

  1. Wow qu’elle belle histoire sur le nymphéas, merci Larry.

  2. Merci, pour ce bel article. Une beauté végétale toute en légèreté Sûrement ma plante aquatique préférée.
    Benjamin