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De l’amour à distance pour l’arbre à saucisses solitaire

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L’arbre à saucisses (Kigelia africana) de la Franklin Park Conservatory. Source: jardinierparesseux.com

L’arbre à saucisses ou saucissonnier (Kigelia africana) est un grand arbre de la famille des Bignoniacées. Distribué naturellement dans une grande partie de l’Afrique, au sud du Sahara, il produit de longues tiges retombantes de fleurs rouge sang qui sont parfois pollinisées par des insectes ou des oiseaux, mais généralement par des chauves-souris. En fait, tout chez la fleur — de sa forme en coupe à son parfum musqué, plus intense la nuit, au fait qu’elles pendent sur des tiges bien en bas des branches, donnant un accès facile — est conçu pour attirer les chauves-souris pollinisatrices. Les fleurs sont suivies d’énormes fruits en forme de saucisses qui mesurent de 30 à 100 cm de longueur et jusqu’à 18 cm de diamètre, pesant chacun entre 5 et 12 kg.

Recommandation: ne placez jamais votre chaise longue sous un saucissonnier plein de fruits, car si un de ces fruits devait tomber sur votre tête pendant votre sommeil, vous ne seriez plus de ce monde!

Les fruits sont couverts d’une écorce dure et ligneuse et donc difficiles à ouvrir, sauf si vous avez une mâchoire très forte et une bouche énorme… ou si vous êtes un éléphant, un hippopotame, un rhinocéros ou une girafe, qui sont les plus grands consommateurs de ces fruits. D’ailleurs, les graines de l’arbre à saucisses germent mieux après qu’elles aient traversé le système digestif d’un grand mammifère et l’arbre compte sur ces animaux pour assurer la dissémination de ses graines, déposées çà et là souvent loin de l’arbre-mère, par leurs excréments. D’autres animaux mangent aussi les fruits quand ils réussissent à percer leur écorce dure, comme les singes, les porcs-épics et certains oiseaux comme les perroquets.

Curieusement, malgré le fait que tant d’animaux sauvages aiment les «saucisses» du saucissonnier, elles sont toxiques pour l’humain. Nous ne pouvons les consommer qu’après une torréfaction, une fermentation ou un séchage approprié. Ainsi, les fruits sont rarement consommés tels quels, mais plutôt utilisés pour faire une bière (appelée murutina par les Massaïs). L’arbre à saucisses a aussi des propriétés médicinales et la crème de kigelia, dérivée de l’arbre, est d’ailleurs vendue comme produit de beauté.

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Fleurs de saucissonnier. Source: Ray Shillito, Wikimedia Commons.

Les fruits sont visuellement remarquables (et d’ailleurs, les fleurs, portées sur une longue tige pendante qui peut mesurer de 2 à 6 m de longueur, le sont aussi), ce qui fait que l’arbre à saucisses est assez couramment planté dans de grands jardins de climat tropical un peu partout dans le monde, souvent très loin de son Afrique natale.

Pas de pollinisation, pas de fruits

Le problème alors est de savoir comment assurer la pollinisation des fleurs. Après tout, sans pollinisation, il n’y aura pas de fruits! Et peu de zones en dehors de l’aire de répartition d’origine de l’arbre possèdent les chauves-souris de la bonne espèce pour polliniser les fleurs.

Et ce n’est pas la seule complication. Car, de plus, les fleurs sont autostériles, c’est-à-dire que le propre pollen de l’arbre ne peut féconder ses fleurs. Seul le pollen de la fleur d’un autre arbre — soit la pollinisation croisée — entraînera la formation de fruits. Même en Afrique, des arbres isolés fleurissent, mais produisent peu ou pas de fruits. Imaginez la situation quand il n’y a qu’un seul arbre à saucisses dans tout le pays (le cas, d’ailleurs, de l’unique saucissonnier des îles Canaries)!

Jouer à l’entremetteur

Et cela nous amène au saucissonnier solitaire de la superbe Lincoln Park Conservatory, une grande serre publique située dans le parc éponyme de Chicago, Illinois, dans le Midwest américain, que j’ai eu le plaisir de visiter la semaine dernière lors du congrès annuel de la Garden Writers Association.

Vous découvrirez le saucissonnier solitaire dès que vous passerez le seuil, car c’est le premier arbre à gauche. Pendant les 7 premières années suivant sa plantation, il a produit des quantités de fleurs, mais aucun fruit.

Cependant, il se trouve qu’il y a un autre saucissonnier à proximité. Eh bien, peut-être pas si près que cela! Car l’autre arbre à saucisses solitaire vit sous les dômes vitrés du complexe serricole du Mitchell Park Horticultural Conservatory à Milwaukee, Wisconsin. C’est à 150 km de la serre de Chicago et dans un autre État. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de convaincre des chauves-souris pollinisatrices de voler d’une serre à l’autre. D’ailleurs, il n’y a pas de chauves-souris pollinisatrices, toutes tropicales, dans le frisquet nord des États-Unis!

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Quand les fleurs sont mûres, il y a urgence à faire le transfert. Source: Tatters, www.flickr.com

C’est pourquoi, lorsque les saucissonniers sont en fleurs, en même temps, un membre du personnel de l’un ou l’autre des jardins remplit un panier de fleurs d’arbre à saucisses fraîchement coupées et effectue le trajet de plus de 1 heure et 40 minutes vers l’autre serre. Il y dépose le panier et ramasse leur panier de fleurs avant de retourner immédiatement à la serre d’origine, car pour être efficace, le pollen doit être le plus frais possible.

Une fois le pollen arrivé, les jardiniers de chaque serre grimpent sur des escabeaux et pollinisent individuellement chaque fleur. Avec un peu de chance, de petits fruits vont commencer à se former, signe que la pollinisation est réussie. Sinon, plusieurs échanges hebdomadaires de fleurs peuvent être nécessaires.

Lorsque les fruits se développent, les visiteurs ébahis peuvent observer les énormes fruits ressemblant à des saucisses géantes qui pendent des branches du saucissonnier. Les fruits géants peuvent d’ailleurs rester sur l’arbre pendant plusieurs mois.

Pourquoi ne pas leur planter un arbre compagnon?

Ce qui soulève la question suivante: pourquoi chacune des deux serres ne produit-elle pas tout simplement un deuxième arbre à saucisses à partir des graines désormais fertilisées? Certes, un saucissonnier peut devenir énorme: jusqu’à 20 m de hauteur dans la nature, ce qui est beaucoup plus haut que l’une ou l’autre des deux serres. Cependant, en élaguant les arbres de manière sélective, il serait possible de les maintenir à environ 6 mètres de hauteur, soit assez grands pour fleurir, mais suffisamment petits pour pouvoir résider en permanence dans une serre publique. D’ailleurs, les deux serres taillent déjà leurs arbres actuels de cette façon.

En tant que jardinier paresseux, c’est ce que j’aurais fait: planter un autre arbre. De plus, c’est certain que j’aurais relâché des chauves-souris pollinisatrices dans la serre pour faciliter encore davantage les choses.

Curieusement, je n’ai reçu, à ce jour, aucune offre pour travailler dans l’une ou l’autre des serres afin de mettre ce plan extraordinaire en œuvre… mais je suis certain que cela ne saurait tarder!20180920A Kigelia africana HC

Étiquettes + Kigelia africana, Saucissonnier, Arbre à saucisses, Pollinisation de l'arbre à saucisses, Pollinisation du saucissonnier


commentaire sur "De l’amour à distance pour l’arbre à saucisses solitaire"

  1. Ah ah j’ai bien votre titre!! La nature est bien surprenante!

  2. Oups, j’aime bien votre titre!

  3. je rentre de vacances de grand canaria j’ai vu et rapportez un fruit de saucissonier je viens de récupérez une cinquantaine de graines