Catégories

Recherche

Nos collaborateurs

Quand les virevoltants deviennent envahisseurs!

20180425A www.cannon.af.milJPG.JPG

Dans certains cas, il a fallu faire venir des militaires pour aider à dégager des résidences endiguées par des virevoltants. Source: www.cannon.af.mil

Pour moi, les virevoltants, ces curieux végétaux appelés tumbleweeds par les Américains et qui se détachent de leurs racines pour se mettre à rouler au vent, sont la quintessence même de l’Ouest américain. Je les imagine roulant paresseusement le long de la rue poussiéreuse d’une ville fantôme, comme dans les films de cowboys que j’écoutais dans mon enfance. Cependant, bien que les virevoltants puissent sembler bucoliques et anodins aux gens de climats plus verts, les habitants de l’ouest des États-Unis en ont ras-le-bol de ces végétaux envahisseurs. Les virevoltants ont beau être iconiques, leur présence représente pour eux un désastre écologique.

20180425C diaryofaquirkygirl.wordpress.com.jpg

Virevoltants sur une route de l’Ouest américain. Source: diaryofaquirkygirl.wordpress.com

Lorsque ces plantes arrondies se détachent de leurs racines et se mettent à rouler, elles doivent s’arrêter quelque part… et cet endroit peut être dans les fossés de drainage, contre les clôtures, dans les tranchées pare-feu, dans les structures de jardin et contre les maisons. Certains arrivent à monter dans les arbres! Et vous ne pouvez pas laisser un enfant jouer à l’extérieur ou aller à l’école à pied quand les virevoltants pleins d’épines sont en mouvement! Parfois, tant de virevoltants se dressent contre les maisons que les gens doivent quitter par les fenêtres du deuxième étage ou appeler les pompiers pour les aider à en sortir. Certaines maisons en deviennent tellement recouvertes qu’on peut difficilement les reconnaître comme des bâtiments.

Vidéo montrant des virevoltants qui envahissant une route. Notez qu’elle a été prise immédiatement après le passage d’un chasse-neige censé dégager la route. Source: Tim Tower, www.youtube.com

Et les virevoltants de l’Ouest américain, bien qu’ils soient souvent broutés par le bétail et d’autres animaux lorsqu’ils sont jeunes, deviennent peu à peu toxiques à mesure qu’ils vieillissent. Ils entravent la circulation (il faut parfois déblayer les routes avec des chasse-neige!) et, étant hautement inflammables, ils constituent un risque majeur d’incendie. Imaginez un buisson ardent qui roule directement vers votre maison!

Leurs tiges épineuses rendent la manipulation douloureuse (suggestion: portez des gants épais et des pantalons longs si vous devez les toucher!) et les égratignures peuvent causer des éruptions cutanées, des démangeaisons et des inflammations de la peau chez les personnes sensibles. Aller pieds nus dans le territoire de virevoltants est impensable et, dans de nombreuses régions, vous devez protéger les jambes des animaux domestiques et du bétail de guêtres, sinon ils commencent rapidement à boiter à force de marcher sur les épines. Et dire que chaque plante produit jusqu’à 200?000 graines par an! Quelle horreur!

Qu’est-ce qu’un virevoltant?

Le terme virevoltant désigne non pas une seule sorte de plante, mais de nombreuses plantes différentes dans au moins 10 familles de végétaux, mais qui ont toutes la même caractéristique : une façon assez unique de distribuer leurs graines. Le virevoltant est une tête florale ou une plante entière qui se détache spontanément et roule dans le vent, répandant les semences au fur et à mesure de son déplacement.

Un virevoltant est n’importe quelle plante qui roule en éparpillant ses semences. Source: giphy.com

On trouve surtout les virevoltants dans les milieux très ouverts où il y a peu d’obstacles pour entraver leur distribution: steppes, savanes, plaines, déserts, plages, etc. Les mêmes espèces peuvent aussi croître dans des environnements plus densément végétalisés, mais alors, ne vont pas très loin, restant rapidement prisonnières des autres plantes. Les milieux très ouverts qui conviennent à leur déplacement sont habituellement secs et, effectivement, la majorité des espèces sont des plantes de climat aride. D’ailleurs, la plupart des virevoltants poussent difficilement dans les sols humides: ils préfèrent de beaucoup la sécheresse!

Cultivez-vous des virevoltants sans le savoir?

Bien qu’on associe les virevoltants aux zones arides de l’Ouest américain, curieusement, nous cultivons plusieurs virevoltants comme plantes ornementales.

20180425D www.johnscheepers.com.jpg

Ail de Schubert (Allium schubertii). Source: www.johnscheepers.com

On cultive l’ail de Schubert (Allium schubertii) comme oignon ornemental, plantant les bulbes à l’automne pour admirer ses énormes ombelles sphériques de fleurs rose pourpré qui apparaissent à la fin du printemps. Dans nos jardins, il est un modèle de la bienséance horticole et les boules de fleurs ne vont nulle part, mais dans ses pays d’origine du Moyen-Orient, c’est un virevoltant très actif. Deux autres bulbes, sud-africains cette fois-ci, Boophane et Brunvigia, de très jolies plantes parfois cultivées en climat méditerranéen, deviennent aussi des virevoltants lorsque les conditions le permettent.

20180425F www.southernliving.com.jpg

Le kochia à l’automne, au moment où il commence à rougir. Source: www.southernliving.com

Le kochia, aussi appelé kochia à balais et faux cyprès (Bassia scoparia, syn. Kochia scoparia), est une annuelle ornementale cultivée non pas pour ses fleurs, mais pour sa capacité de former une dense boule d’étroites feuilles vert pomme qui deviennent rouge vif à l’automne. De culture extrêmement facile, il sert parfois à créer une haie temporaire. Dans nos jardins, il ne va pas loin, mais dans la nature, il se casse à la base et se met à rouler à la fin de la saison, semant ses graines en passant. Même si ses semences sont en vente libre un peu partout, sa culture est défendue en Saskatchewan, étant donné le risque d’envahissement.

20180425E Selaginella_lepidophylla Nicole-Koehler, WC.JPG

Rose de Jéricho (Selaginella lepidophylla). Source: Nicole-Koehler, Wikimedia Commons

Ou peut-être avez-vous essayé (probablement en vain) de faire pousser une «rose de Jéricho» (Selaginella lepidophylla) à partir d’une boule de feuilles séchées brunes. On vend couramment cette plante, complètement desséchée, dans les foires agricoles et les jardineries comme plante miraculeuse, car la plante apparemment morte se met à verdir lorsqu’on la fait tremper dans l’eau. Et oui, elle verdit, mais on se fait avoir : elle ne reprend pas vraiment et, après quelques semaines, elle n’est bonne que pour le compost. Peu de gens savent que, dans son milieu naturel, soit le désert de Chihuahua au Texas et au Mexique, la rose de Jéricho est un virevoltant répandant ses minuscules spores lorsqu’elle se met à rouler.

Les virevoltants moins sympathiques

20180425H wnmu.edu .jpg

Les virevoltants de l’Ouest américain ne sont même pas indigènes. Source: wnmu.edu

Les virevoltants qui dévastent actuellement la Californie, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, le Colorado, le Texas et le Mexique, pour ne citer que quelques points chauds, ne sont pas cultivés comme plantes ornementales. Curieusement, ils ne sont même pas originaires du Nouveau Monde, mais furent importés accidentellement des steppes de Russie vers la fin du 19e siècle. D’autres sont venus les rejoindre d’ailleurs en Asie et même d’Australie ou d’Afrique.

En Amérique, contrairement à la situation dans leurs pays d’origine, ces virevoltants n’ont pas d’ennemis naturels — aucune maladie, aucun insecte ravageur — et ont donc libre cours.

Nomenclature confuse

On appelle ces virevoltants importés soudes, car autrefois on en extrayait de la soude en les brûlant, et on les désigne d’ailleurs plus spécifiquement, pour des raisons évidentes, soudes roulantes. Parfois aussi, on les appelle chardons russes, à cause de leurs feuilles très piquantes et de leur pays d’origine. Quant à leur nom botanique, il est… discutable. Dans le passé, il était Salsola, mais le nom a été changé pour Kali en 2009. Et une étude en cours risque de les remettre dans le genre Salsola et c’est donc le nom que j’utiliserai dans ce texte.

20180425G Pablo Alberto Salguero Quiles, Wikimedia Commons.jpg

La plupart des botanistes utilisent le nom Salsola tragus pour les soudes roulantes rencontrées dans la nature, une sorte de nom par consensus pour étiqueter n’importe quelle plante dans le genre Salsola qu’on n’a pas le temps d’identifier plus correctement. Source: Pablo Alberto Salguero Quiles, Wikimedia Commons

Que vous les appeliez Salsola ou Kali, la nomenclature botanique des soudes roulantes demeure désespérément embrouillée. Traditionnellement, les plantes nord-américaines ont été appelées Salsola tragus, mais apparemment, plus d’une espèce a été introduite, dont S. kali, S. pestifer, S. australis et S. iberica… et elles se ressemblent drôlement. De plus, elles se croisent entre elles, donnant de nouvelles espèces, telles que S. x gobicola et S. x ryanii. On les démêle surtout en comptant leurs chromosomes, ce qui n’est pas à la portée de n’importe qui! Il est donc rarement possible de donner un nom correct à une soude roulante rencontrée par hasard.

Des annuelles qui ressemblent à des arbustes

20180425L Forest & Kim Starr, WC.jpg

Les fleurs peuvent paraître jolies, mais elles sont tellement minuscules qu’on les remarque à peine. Source: Forest & Kim Starr, Wikipedia Commons

Les espèces de Salsola sont toutes des plantes annuelles et varient en hauteur de 10 à 120 cm, généralement selon les conditions de croissance (elles sont plus hautes quand l’été a été relativement pluvieux). Elles portent de petites feuilles linéaires se terminant en épine et de nombreuses tiges ramifiées fortement emmêlées. Les tiges sont vertes, rouges ou rayées dans leur jeunesse, beiges à maturité. Les minuscules fleurs sessiles sont blanchâtres à roses et présentent peu d’intérêt ornemental.

La plante s’assèche complètement lorsque les graines mûrissent, puis se détache à sa base et commence son déplacement, laissant tomber ses graines au fur et à mesure qu’elle roule. Elle peut couvrir de nombreux kilomètres pendant ses pérégrinations. Des soudes roulantes ont déjà été chronométrées à 48 km/h!

Fortement envahisseuse

20180425J Stefan.lefnaer, WC.jpg

Champ dominé par de jeunes plants de soude roulante. Source: Stefan.lefnaer, Wikimedia Commons

À partir d’une première introduction accidentelle dans le Dakota du Sud en 1873, la soude roulante a littéralement conquis le continent nord-américain, se trouvant maintenant dans 48 des 50 états américains (on n’en trouve pas en Alaska ni en Floride), dans le nord du Mexique et dans toutes les provinces du Canada, mais dans aucun de ses territoires. La soude roulante est présente aussi, soit naturellement ou sous forme de plante introduite, en Europe, en Asie, en Australie, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud où elle se plaît, en plus d’apprécier les steppes et savanes traditionnelles, sur les plages de sable (la plante est très tolérante des sols salins) et dans les remblais de chemin de fer, car les trains ramassent les plantes et distribuent leurs graines un peu partout le long de leur route.

La sécheresse extrême dans le sud-ouest des États-Unis depuis les dernières années a provoqué une explosion massive de soude roulante dans de nombreuses régions où elle était autrefois assez parsemée, car elle est plus tolérante à la sécheresse que la plupart des espèces indigènes et remplit facilement les espaces laissés vides par la mort des autres végétaux.

Contrôler une plante nuisible

20180426K CBS.jpg

Dans l’Ouest américain, on fait d’énormes bûchers gérés par les pompiers locaux pour brûler les virevoltants. Source: CBC

Jusqu’à présent, les mesures de contrôle dans l’Ouest américain se sont surtout limitées à faucher les jeunes plantes ou à les pulvériser d’herbicide. Ou encore, à brûler les virevoltants ramassés dans d’énormes bûchers dans un lieu sécuritaire. L’USDA (département de l’agriculture américaine) étudie actuellement quelques insectes et maladies spécifiques à cette plante, y compris un virus, qui ont été importés de la Russie. Certains semblent plutôt prometteurs, mais avant de les introduire, les scientifiques veulent s’assurer qu’ils ne s’attaqueront pas à d’autres végétaux, ce qui nécessitera alors des études plus poussées.

Sachez toutefois que la soude roulante peut quand même être utile dans certaines circonstances, servant de fourrage pour le bétail et les animaux brouteurs indigènes, d’abris pour les animaux sauvages, de source de graines pour les oiseaux et qu’elle aide à la réhabilitation des sols. Elle sert aussi de plante pionnière, offrant de la protection aux jeunes plantes d’autres espèces et aidant ainsi à lancer une succession écologique saine. Malgré sa capacité de proliférer à l’extrême sous certaines conditions, la soude roulante n’est pas très compétitive : elle disparaît rapidement lorsque d’autres végétaux commencent à jeter de l’ombre sur le sol et ne prospère donc que dans des conditions que d’autres végétaux tolèrent difficilement, comme les sols très secs, salins ou alcalins. En outre, ses graines sont de courte vie (environ deux ans).

Cependant, la situation dans l’Ouest américain est devenue si critique au cours des dernières années que vous trouverez très peu de sympathie pour la soude roulante là-bas. La plupart des gens veulent la voir disparaître de leur paysage… éternellement!20180425A www.cannon.af.milJPG

Étiquettes + kochia, Salsola kali, Salsola pestifer, Salsola australis, Salsola iberica, Salsola tragus, Kali spp., Salsola spp., chardon russe, Kochia scoparia, Bassia scoparia, faux cyprès, kochia à balais, Brunvigia, Boophane, Ail de Schubert, Allium schubertii), Virevolants qui envahissent, Envahissement des virevolants, Soude roulante, Virevoltants, Selaginella lepidophylla, rose de Jéricho


commentaire sur "Quand les virevoltants deviennent envahisseurs!"

  1. Très intéressant, merci

  2. […] Hodgson parle aujourd’hui des virevoltants (ce que, malgré ma profession, j’appelle toujours des… tumbleweeds, parce que bien […]

  3. bichat dit :

    Bonjour
    Merci pour cet article assez fascinant ! J’en profite pour vous faire part d’une question car je viens de voir la publicité Willemse sur votre blog ( leur service client est pitoyable, jamais vu ça, plusieurs mails après une livraison et jamais aucune réponse….) alors peut être que vous pourrez palier à leur silence…ils m’ont livré deux Aruncus Sylvestris Guinea Fowl qui sont des racines toutes sèches et minuscules. Pensez-vous que cet état soit normal pour cette plante ? Si oui, combien de temps patienter avant d’en faire mon deuil ( ou ne soyons pas pessimiste…me réjouir !) Depuis deux jours je suis une très mauvaise élève je désherbe à tour de bras, mais cela à un petit effet thérapeutique ceci dit ! Un article en vu sur les bienfaits du désherbage (à petite dose of course ! )

    • Vous savez que les publicités qui apparaisse sur les blogues comme le mien ne relève pas du blogueur, mais sont choisi par un ordinateur qui connaît vos goûts! Donc, je ne suis responsable des annonces.

      Cela dit, un aruncus peut avoir les racines complètement desséchées (du moins au printemps) et quand même bien reprendre. Plantez, arrosez et donnez-lui au moins 3 semaines pour montrer signe de vie (les aruncus font tout lentement!). Si rien ne bouge d’ici là, demandez un remboursement.

      • bichat dit :

        MERCI ! sincèrement d’avoir pris le temps d’une réponse. Je garde espoir alors !
        Bien à vous
        Agnès

  4. Fernande Pelland dit :

    Merci pour cet article particulièrement formidable! J’associais toujours ces buissons aux films du genre “Il était une fois dans l’ouest”. Je les verrai fort différemment maintenant!

  5. Laroche dit :

    Merci pour l’article… je suis envahi par ces plantes : j’en ai arraché des centaines avant qu’elles ne se mettent à rouler et on va faire un bon brasier… le problème : ne rien oublier sinon ce sera à refaire l’année prochaine

Inscrivez-vous au blogue du Jardinier paresseux et recevez ses articles dans votre boîte de courriel à tous les matins!

%d blogueurs aiment cette page :