Plantes aux feuilles bizarres: les plantes Ă fenĂȘtre

LâextrĂ©mitĂ© des feuilles de ce Frithia pulchra est translucide et laisse entrer la lumiĂšre. Source: venanaturale
Voici encore un autre article sur les plantes à feuillage bizarre, une petite série que je publie de temps en temps. Cet article fait suite à Cinq plantes aux feuilles bizarres, Quatre autres plantes aux feuilles bizarres et Plantes aux feuilles bizarres: les feuilles perfoliées, si jamais vous voulez les relire.
Comment les feuilles fonctionnent⊠habituellement!
Presque partout sur la planĂšte, les feuilles ont la mĂȘme structure. Elles ont une surface supĂ©rieure plane et vert foncĂ©, couleur qui vient des chloroplastes, ces cellules vertes qui convertissent la lumiĂšre solaire en Ă©nergie et qui sont placĂ©es juste sous la surface de la feuille. Leur partie infĂ©rieure a peu de chloroplastes et est donc vert plus pĂąle. Cette organisation est trĂšs logique, car la plante veut capter un maximum dâĂ©nergie solaire et le soleil se trouve au-dessus de la plante. MĂȘme leur port (la plupart des feuilles sont portĂ©es Ă lâhorizontale) est conçu pour recevoir tout le soleil possible.
Se protéger du soleil
VoilĂ pour une feuille typique! Mais certaines plantes, notamment celles de climat aride, sont confrontĂ©es Ă une situation oĂč le soleil est tellement intense et brĂ»lant que la plante ne peut pas absorber toute lâĂ©nergie produite. Bien au contraire, elle doit se protĂ©ger des excĂšs de soleil.

Plusieurs plantes, comme ce Kalanchoe tomentosa, se protĂšgent contre un soleil trop intense en se couvrant de poils blancs ou de cire. Source:Â www.gardenia.net
Ces vĂ©gĂ©taux ont dĂ©veloppĂ© diffĂ©rentes stratĂ©gies pour contourner un soleil trop intense. Parfois, les feuilles sont recouvertes de cire ou de poils qui rĂ©flĂ©chissent une bonne partie du soleil, parfois la plante sacrifie ses feuilles pour faire la photosynthĂšse Ă partir de ses tiges (câest le cas notamment des cactĂ©es) et parfois la plante abandonne la partie complĂštement, perdant ses feuilles pour rester en dormance pendant la saison chaude. Mais de toutes les adaptations Ă un soleil trop intense, ce sont les plantes Ă fenĂȘtre qui sont les plus fascinantes.
La fenĂȘtre foliaire: une vitrine vĂ©gĂ©tale

Les feuilles de la plupart des plantes Ă fenĂȘtre sont presque enterrĂ©es: seulement lâextrĂ©mitĂ© est exposĂ©e. La lumiĂšre pĂ©nĂštre par la fenĂȘtre et parvient aux chloroplastes souterrains. Source: C. T. Johansson, Wikimedia Commons & cliparting.com
La plupart des plantes Ă fenĂȘtre se retirent sous le sol pendant la saison chaude, ne laissant que la pointe de leurs feuilles exposĂ©e. Et cette partie exposĂ©e nâest pas verte, mais translucide, comme une fenĂȘtre. Ainsi, la lumiĂšre intense et brĂ»lante pĂ©nĂštre par la pointe de la feuille, mais se trouve alors diffusĂ©e et redirigĂ©e vers les chloroplastes qui sont situĂ©s Ă lâintĂ©rieur de la feuille, sous le sol. Dâailleurs, «pointe de la feuille» est presque un oxymoron: le bout des feuilles des plantes Ă fenĂȘtre est rarement pointu, car une surface mince perdrait trop dâeau. Il est donc plutĂŽt tronquĂ© ou arrondi, ce qui rĂ©duit la surface exposĂ©e au vent assĂ©chant.
Cette adaptation ingĂ©nieuse, que les botanistes appellent tout simplement une fenĂȘtre foliaire ou fenĂȘtre Ă©pidermique, s’est produite non pas une seule fois, mais plusieurs fois, dans des familles diffĂ©rentes. Les pierres vivantes (Lithops, Fenestraria, Frithia, Opthalmophyllum, etc.), aussi appelĂ©es plantes cailloux, de la famille des AizoacĂ©es, sont les plus connues des plantes Ă fenĂȘtre, mais plusieurs plantes dans dâautres familles, comme les AsphodelacĂ©es, les AstĂ©racĂ©es et des PipĂ©racĂ©es, appartiennent aussi Ă cette catĂ©gorie.
Curieusement, presque toutes les plantes Ă fenĂȘtre viennent des dĂ©serts du sud de lâAfrique. On ne sait toutefois pas ce quâil y a de si particulier dans les conditions de cette rĂ©gion qui stimule les plantes Ă dĂ©velopper une fenĂȘtre plutĂŽt que, ou en plus, dâautres mĂ©thodes de survie Ă la sĂ©cheresse: succulence, longue dormance, rĂ©duction des stomates, etc.
Une fenĂȘtre bien en Ă©vidence

Fenestraria rhopalophylla. Source: Stan Shebs, Wikimedia Commons
La plus visible des fenĂȘtres est sans doute celle du Fenestraria rhopalophylla, une AizoacĂ©e souvent appelĂ©e tout simplement «plante Ă fenĂȘtre» (le sens du nom Fenestraria). Cette plante prĂ©sente une touffe de feuilles tubulaires dressĂ©es gris-vert pĂąle, chacune coiffĂ©e dâune extrĂ©mitĂ© arrondie complĂštement translucide: on dirait quâelle est coiffĂ©e dâune lentille cornĂ©enne!
Dans la nature, seulement la pointe translucide est visible, du moins, pendant la saison sĂšche, le reste de la plante demeurant enterrĂ©. En culture, on se plaĂźt Ă exposer la base des feuilles, en partie pour mettre la forme curieuse de la plante plus en valeur, mais surtout, parce quâon nâarrive pas Ă imiter la chaleur intense et sĂšche de son pays natal dans nos demeures: si lâon enterre les feuilles comme dans la nature, la pauvre plante tend Ă pourrir.

Frithia pulchra. Source:Â C. T. Johansson, Wikimedia Commons
Frithia pulchra, une autre AizoacĂ©e, est trĂšs similaire, avec les mĂȘmes feuilles tubulaires et croissance en rosette, mais cette fois, les extrĂ©mitĂ©s paraissent tronquĂ©es plutĂŽt quâarrondies.

Les pierres vivantes vivent presque enterrĂ©es, camouflĂ©es parmi des pierres de couleur similaire. MalgrĂ© les taches opaques sur lâextrĂ©mitĂ© de la feuille, il y a assez de «fenĂȘtre» (surface translucide) pour que la lumiĂšre puisse passer. Source: Lithops, Rudolf Marloth, Wikimedia Commons
Les vĂ©ritables «pierres vivantes» ou «plantes cailloux» (genre Lithops, famille des AizoacĂ©es) ont aussi des fenĂȘtres, mais elles sont moins visibles, car la fenĂȘtre est marbrĂ©e de taches opaques plus pĂąles qui imitent la coloration des roches voisines.

Il existe de nombreux Lithops dans toute une gamme de couleurs. Source:Â worldofsucculents.com
Chaque pierre vivante (et il en existe des dizaines dâespĂšces) se compose de deux feuilles en demi-lune pressĂ©es lâune contre lâautre et les feuilles peuvent ĂȘtre vertes, grises ou mĂȘme rougeĂątres. Leurs proches parents, les Conophytum, nâont quâune seule feuille perfoliĂ©e par plante. Certains Conophytum ont des fenĂȘtres, dâautres pas.
Des mini-aloĂšs

Haworthia cymbiformis obtusa. Source: ??? , pinterest
Le genre Haworthia est trĂšs proche de genre Aloe (les deux appartiennent Ă la famille des AsphodelacĂ©es) et plusieurs espĂšces ressemblent dâailleurs Ă de petits aloĂšs, avec une croissance en rosette et des feuilles nettement pointues.

Chez Haworthia truncata, les feuilles arrangĂ©es en Ă©ventail semblent avoir Ă©tĂ© coupĂ©es net, mais chaque «coupure» est en fait une fenĂȘtre. Source: Stan Shebs, Wikimedia Commons
Les espĂšces qui ont des fenĂȘtres ont cependant des feuilles Ă lâextrĂ©mitĂ© plus arrondie. Dans la nature, elles vivent sous le sol avec seulement cette partie de la feuille exposĂ©e. Certaines, comme H. cymbiformis et H. retusa, ont de petites fenĂȘtres Ă lâextrĂ©mitĂ© de la feuille qui se mĂ©langent Ă des cellules vertes normales, alors que chez H. truncata, lâextrĂ©mitĂ© de la feuille, quâon dirait coupĂ©e Ă la scie, est entiĂšrement translucide, un dĂ©tail quâon ne remarque que de prĂšs.

Les taches foncĂ©es sur les feuilles de Bulbine haworthioides sont en fait des fenĂȘtres. Source: Jeffs-bulbesetpots, picssr.com
Un autre genre de la famille des AsphodelacĂ©es, Bulbine, produit aussi quelques plantes Ă fenĂȘtre (notamment B. haworthioides et B. mesembryanthemoides) qui, elles aussi, ont des feuilles collĂ©es au sol portant des marques translucides. Curieusement, la plupart des autres bulbines ont un comportement trĂšs diffĂ©rent: ce sont des plantes Ă bulbe qui passent la saison sĂšche en dormance sous le sol et qui produisent des feuilles comme celles des graminĂ©es pendant leur saison de croissance.
Yeux de chat

Chaque feuille presque ronde du collier de perles (Senecio rowleyanus) porte une fenĂȘtre en forme de raie. Source: Â Green Lady, YouTube
Le collier de perles (Senecio rowleyanus), une petite plante dâintĂ©rieur assez populaire de la famille des AstĂ©racĂ©es, est aussi une plante Ă fenĂȘtre, mais sa fenĂȘtre est plutĂŽt discrĂšte. Chacune de ses petites feuilles, presque aussi ronde quâune perle, est vert tendre⊠mais cette partie de la feuille ne fait pas de photosynthĂšse. Vous remarquerez que chaque feuille porte une raie qui paraĂźt vert foncĂ©, comme un Ćil de chat, mais qu’en fait, elle est transparente, laissant voir lâintĂ©rieur de la feuille. Câest par cette fente que la lumiĂšre pĂ©nĂštre et atteint les cellules faisant de la photosynthĂšse Ă lâintĂ©rieur de la feuille, sur le pourtour.
Contrairement aux autres plantes Ă fenĂȘtre vues jusquâĂ maintenant, cette plante nâest pas partiellement souterraine, mais pousse dans la nature complĂštement exposĂ©e, comme plante tapissante, ses longues tiges sâenracinant en touchant le sol. En culture, on la fait souvent retomber joliment dâun panier suspendu.

Les feuilles plus allongĂ©es de la chaĂźne de bananes (Senecio radicans) portent aussi une fenĂȘtre Ă©troite. Source: mountaincrestgardens.com
S. herreianus, aussi appelĂ© collier de perles, est similaire, mais aux feuilles plus pointues. La chaĂźne de bananes (S. radicans) produit des feuilles succulentes encore plus allongĂ©es rappelant, comme le nom le suggĂšre, des bananes. Les deux portent le mĂȘme genre de fenĂȘtre trĂšs Ă©troite.
Feuille pliée en deux
On a vu que la fenestration a Ă©voluĂ© indĂ©pendamment dans diffĂ©rentes familles, presque toutes originaires dâAfrique du Sud, mais il y a une exception importante.
Dans le vaste genre Peperomia de la famille des PipĂ©racĂ©es, qui comprend plus de 1500 espĂšces distribuĂ©es partout dans les tropiques, il y a aussi quelques espĂšces Ă fenĂȘtre, toutes originaires du PĂ©rou et de lâĂquateur. La logique derriĂšre leur fenestration nâest pas aussi claire, car ces pĂ©pĂ©romias ne vivent pas dans une rĂ©gion dĂ©sertique, mais plutĂŽt dans une forĂȘt tropicale, souvent en Ă©piphyte. Mais il peut ĂȘtre utile Ă une plante Ă©piphyte, sans terre pour protĂ©ger ses racines et exposĂ©e au vent, de dĂ©velopper une rĂ©sistance Ă la sĂ©cheresse, alorsâŠ

Les feuilles du pĂ©pĂ©romia du prĂȘcheur (Peperomia dolabriformis) sont pliĂ©es en deux avec une fenĂȘtre au centre. Source: plantsam.com
Ce qui est fascinant avec le pĂ©pĂ©romia du prĂȘcheur (P. dolabriformis, dont le nom spĂ©cifique veut dire en forme de doloire, un genre de hache) est quâon semble lâavoir surpris en pleine Ă©volution. On sent trĂšs bien que ce qui Ă©tait Ă lâorigine une feuille elliptique et plane tout Ă fait ordinaire sâest pliĂ© vers le centre, comme une main en priĂšre (dâoĂč le nom commun pĂ©pĂ©romia du prĂȘcheur). Ce qui Ă©tait lâendos vert pĂąle de la feuille est dĂ©sormais portĂ© Ă la verticale avec une fenĂȘtre lĂ©gĂšrement enfoncĂ©e (qui paraĂźt vert foncĂ©, mais qui est en fait transparente) au centre.

Peperomia graveolens. Source: public.fotki.com
Dâautres pĂ©pĂ©romias ont un port similaire, comme P. nivalis et le trĂšs surprenant P. graveolens, oĂč lâextĂ©rieur de la feuille est rouge et fait donc tout un contraste avec la fenĂȘtre verte au centre.

Peperomia ferreyrae. Source: Succulents.us
P. ferreyrae, aux feuilles succulentes Ă©troites et pointues, lĂ©gĂšrement arquĂ©es, semble plus Ă©voluĂ©, car on ne remarque plus lâeffet de feuille pliĂ©e en deux.

Peperomia columella. Source: worldofsucculents.com
Enfin, le plus bizarre des pĂ©pĂ©romias Ă fenĂȘtre est sans aucun doute le pĂ©pĂ©romia colonnaire (P. columella) dont les petites feuilles trĂšs succulentes semblent carrĂ©ment tronquĂ©es.
Les plantes Ă fenĂȘtre sont rĂ©ellement fascinantes: placez-en devant votre fenĂȘtre!
Comment garder les plantes cailloux,jâai essayĂ© quelques fois mais je les perds surtout lâhiver ,elles pourrissent
Je voulais Ă©viter d’aborder cette question Ă©pineuse, car c’est compliquĂ© Ă expliquer, mais essentiellement, il faut seulement arroser ces plantes de mai Ă septembre, arrosant bien, mais laissant quand mĂȘme le terreau s’assĂ©cher avant d’arroser de nouveau. En automne et en hiver, mĂȘme si les feuilles semblent ratatinĂ©es, pas une goutte d’eau. Vers la fin du printemps (mai, habituellement), de nouvelles commenceront Ă ressortir des “carcasses” des anciennes, qui auront l’air complĂštement assĂšchĂ©es Ă ce moment. C’est lĂ que vous commencez Ă arroser de nouveau.
Fascinante Nature,…..wow
Bonjour jardinier,
j’adore le Senecio rowleyanus, mais j’en ai perdu 3. Un a eu de la moisissure, les boules ont fondu les unes aprĂšs les autres, j’ai moins arrosĂ© le suivant qui s’est dessĂ©chĂ©. J’ai changĂ© la terre du 3Ăšme en le mettant dans de la terre Ă cactĂ©es et en l’arrosant peu, tous les 15 jours, et il a eu la mĂȘme maladie que le 1er. Je vient d’en racheter un 4Ăšme, ce sera ma derniĂšre tentative. Pourriez-vous me prodiguer vos prĂ©cieux conseils ?
Il faut toucher au terreau avant d’arroser. Essayer de mettre une plante sur un rĂ©gime spĂ©cifique est rarement une bonne idĂ©e, car ses besoins peuvent changer selon une foule de facteurs. Aussi, offrez beaucoup de soleil.
Merci pour ce superbe article, magnifiquement illustré !
Claire