La vie sexuelle olé olé des orchidées
Beaucoup de végétaux produisent du pollen en quantités copieuses, pollen qui est libéré massivement dans l’air et transporté au loin par le vent, dans l’espérance qu’une seule graine trouve par hasard une fleur réceptive de la bonne espèce. Cela fonctionne (sinon, les espèces en question auraient disparu), mais quel gaspillage d’une ressource précieuse! Parfois, le paysage au complet est couvert d’une mince couche de pollen qui ne servira jamais.
D’autres végétaux utilisent un agent de transport de pollen plus fiable que le vent, habituellement un insecte, parfois un oiseau (un colibri, par exemple) ou un mammifère (certaines chauves-souris). Habituellement, ils offrent une quantité abondante de nectar à tout passant. Pensez à la marguerite commune [Leucanthemum vulgare] qui peut être pollinisée indifféremment par une abeille, une mouche, un papillon ou une guêpe. De plus, elle produit plus de pollen que strictement nécessaire pour les pollinisateurs qui aiment en manger un peu. Elle peut se permettre d’être généreuse, car elle calcule que l’un de ses nombreux invités, chargé de pollen après sa visite, atterrira éventuellement sur une autre plante de la même espèce et y laissera choir un peu de son pollen, ce qui assurera la fécondation. Si cela vous paraît risqué, sachez que ce l’est beaucoup moins que de lancer le pollen en l’air en espérant qu’il tombe au bon endroit!
Or, les orchidées ne sont pas aussi généreuses. Bien qu’elles soient presque toujours pollinisées par des insectes (plus rarement par des mammifères ou des oiseaux) et que leur pollen lourd ne puisse pas être transporté par le vent, elles sont très chiches dans leur production de pollen. Elles ne produisent pas des «quantités» de pollen, mais seulement deux pollinies (masses de pollen) par fleur. Évidemment, il est alors très important pour la fleur que l’insecte qui prend ses pollinies si rares les dépose sur une autre orchidée de la bonne espèce. Ainsi, les orchidées font tout pour plaire à leur pollinisateur préféré, utilisant des combinaisons savantes de couleurs, de parfums, de formes, de goûts et de textures pour mieux le séduire.
L’orchidée abeille
L’orchidée abeille (Ophrys apifera), une orchidée terrestre européenne appelée aussi (et je ne l’ai pas inventé!) orchidée prostituée, en est un exemple. Cette orchidée produit une fleur qui est physiquement presque identique à la femelle de ses abeilles solitaires pollinisatrices (genres Tetralonia et Eucera). Elle est de la même couleur, de la même taille et offre même une texture hirsute similaire. Mais le coup de grâce est le parfum: la fleur dégage une phéromone (hormone sexuelle) très similaire à celle de la femelle de l’abeille, mais juste assez différente pour être spécialement aguichante. Ainsi, si elle a à choisir entre la fleur et une femelle, l’abeille mâle préférera souvent la fleur!
En essayant de copuler avec elle, le mâle se place justement au bon endroit pour ramasser les pollinies de la fleur qui lui restent alors collées sur la tête. Frustré, il s’en va et évite les prochaines fleurs d’orchidée abeille qu’il voit, se souvenant de son insuccès. Mais plus il s’en éloigne, plus l’envie lui reprend et alors il s’essaie de nouveau avec une plante située à une certaine distance. Cela assure une pollinisation croisée, ce qui convient à l’orchidée, car cette autre plante sera génétiquement assez éloignée de la fleur d’origine, évitant ainsi toute consanguinité.
Lorsque ce mâle se pose sur la nouvelle fleur, les pollinies collées sur sa tête se trouvent coincées par une structure de la fleur et sont carrément arrachées… et d’autres se collent à lui avant qu’il ne reparte.
On peut souhaiter qu’il finisse par trouver une dulcinée de son espèce avant de mourir d’épuisement!
Beaucoup d’orchidées imitent la senteur des insectes femelles et incitent la pseudocopulation des mâles, mais peu imitent aussi bien l’apparence de la femelle que l’orchidée abeille.
Des fleurs trompeuses
Une situation semblable n’est pas rare parmi les orchidées. Beaucoup d’orchidées sont mimétiques: elles imitent d’une façon ou d’une autre (par l’odeur, l’apparence, la texture, etc.) un insecte ou autre objet qui peut attirer les insectes et ce, bien sûr, dans le but d’affrioler un pollinisateur.
Une estimation suggère que, sur les 20 000 espèces d’orchidées, environ 8 000 sont ce qu’on appelle des «fleurs trompeuses»: elles prétendent offrir quelque chose d’intéressant à un pollinisateur, mais ne livrent pas la marchandise. Parfois, comme dans le cas de l’orchidée abeille, c’est le sexe. D’autres fois, c’est un parfum qui suggère une abondance de nectar.. mais quand l’insecte visite la fleur, il n’y a rien à siroter. Et parfois, le leurre est beaucoup plus imaginatif!
Un essaim d’abeilles
Par exemple, certains Oncidium d’Amérique du Sud et centrale ont des fleurs qui imitent subtilement l’apparence des abeilles du genre Centris, mais ce n’est pas dans le but de les attirer sexuellement. Les petites fleurs sont regroupées en masse sur des tiges arquées qui bougent sous la moindre brise, au point même d’avoir l’air de frémir. Quand l’abeille Centris, de nature très territoriale, voit ce qui semble être un essaim de ses congénères envahir son espace, elle passe à l’attaque… et, ce faisant, ramasse des pollinies par accident. Fatiguée de l’affrontement, elle se retire, mais voyant un autre affront à son territoire ailleurs, elle attaque aussi le 2e essaim de fleurs et y dépose les pollinies, assurant ainsi la fécondation. Puis, elle repart avec les pollinies de la deuxième plante… et ainsi de suite.
Le sabot de la vierge
Il ne faut pas croire que les orchidées trompeuses sont strictement originaires des tropiques. Le joli sabot de la vierge (Cypripedium spp.), une orchidée des forêts des régions tempérées de l’hémisphère nord, n’est pas en reste. Malgré un nom qui semble promettre une pureté immaculée, elle est tout aussi aguicheuse que les orchidées tropicales… et comme tant d’autres, ses promesses sont fausses.
Son labelle, un pétale muté en forme de sabot, dégage une odeur mielleuse qui promet un abondant nectar. L’insecte (une mouche, un bourdon ou une abeille solitaire, selon l’espèce de sabot de la vierge en question) atterrit sur le labelle et cherche le nectar. Il avance un peu… pour se retrouver sur la surface lisse de l’intérieur du labelle. Ainsi, il glisse jusqu’au fond du labelle, certain d’avoir touché le gros lot, mais non, il n’y a pas de nectar du tout. Pire, quand il essaie de s’en aller, des poils inclinés vers le bas l’empêchent de remonter par le même chemin: il est donc prisonnier. Éventuellement, il découvre une ouverture au fond de la fleur. Il s’y rend, mais doit se tortiller pour passer… déposant les pollinies, s’il en portait, et, en sortant du trou, s’en faisant coller de nouvelles.
Des odeurs moins agréables
La gigantesque orchidée Bulbophyllum phalaenopsis ne gagnera sûrement pas de concours de beauté. Ses pétales rouge pourpré ressemblent à de la viande pourrie et grouillent d’excroissances rappelant des asticots. De plus, elle dégage une odeur nauséabonde… le tout, pour attirer son pollinisateur préféré, la mouche à charogne.
Elle n’est pas seule, d’ailleurs. Plusieurs orchidées, dont les Dracula, attirent les mouches pollinisatrices avec une odeur qui paraît désagréable à nos narines, mais qui est considérée comme le parfum le plus séduisant au monde par les mouches.
Des fleurs qui imitent d’autres fleurs
Quand une plante abondante et attrayante a trouvé la clé de succès avec les pollinisateurs, il n’est pas rare qu’une orchidée du secteur apprenne à l’imiter pour profiter de ses pollinisateurs.
En Amérique du Sud et centrale, par exemple, il y a une asclépiade (Asclepias curassavica) et un lantana (Lantana camara) dont les fleurs partagent la même coloration (orange avec un centre jaune) et aussi les mêmes pollinisateurs — notamment des guêpes et des papillons — et qui produisent tous deux beaucoup de nectar pour assurer leur fréquentation assidue par leurs transporteurs de pollen préférés. Alors, certaines espèces d’Epidendrum — dont E. radicans — se sont mises à les imiter en produisant des fleurs avec exactement les mêmes couleurs… mais avec la différence que ces orchidées n’offrent rien en récompense. Trompeuses, elles profitent de l’intérêt des insectes pour les fleurs des deux autres espèces pour assurer leur fécondation, mais ne produisent aucun nectar.
Plus encore
Évidemment, il y a beaucoup d’autres déviances dans la vie sexuelle tordue des orchidées dont j’aurais pu vous parler:
• Les Catasetum lancent leurs pollinies sur la tête de leur pollinisateur avec une telle force qu’il est parfois sonné ou même tué par l’expérience;
• L’orchidée de Darwin (Angraecum sesquipedale) tient tant à préserver son nectar des voleurs qu’elle l’emmagasine au fond d’un éperon de 30 cm de longueur. Ainsi, seul son pollinisateur exclusif, un papillon nocturne nommé Xanthopan morgani praedicta, dont la trompe est juste assez longue, peut aller le chercher;
• Le Holcoglossum amesianum, si son pollinisateur ne se présente pas, s’autopollinise d’une façon très physique que je n’oserais pas décrire dans un blogue qui pourrait être lu par des enfants;
• Etc.
Décidément, les orchidées sont des aguicheuses… et elles séduisent les humains aussi, puisque nous les récompensons pour leur tendance à s’offrir de façon si éhontée en les cultivant dans nos maisons et nos jardins!
Belle chronique. Merci. Moi qui adore et collectionne plusieurs orchidées, je ne pensais pas cela d’elles…